Suite à l’engouement suscité par l’article précédent, nous sommes heureux et fiers de diffuser aujourd’hui en exclusivité et pour la première fois accessible au public la chronique technico-scientifique et finasso-redondante de notre spécialiste et néanmoins expert, nonobstant ingénieur en retraite de son état, et qui nous parvient depuis sa lointaine Gréoux D’Forss par le Canal Ternaire :
Oncle Akra Toussaint-Jour décode, décrypte ou dégoise hardeux
Le sujet de ma causerie du jour est en effet le suivant :
Comment s’organise l’équipage d’un vaisseau à multi-gravité comme le Brau Koli pour mener à bien un voyage sans accroc ?
Tout d’abord, sachez que le premier visage qui se présente dans le sas pour accueillir les voyageurs est forcément celui d’un Vôô-Dkapum, et ce n’est pas un hasard.
Sur tous les vaisseaux de la classe du Brau Koli aptes à proposer à leurs passagers des conditions de voyage variables, le personnel de bord est systématiquement composé d’une escouade de Vôô-Dkapums. C’est en fait grâce à l’existence des Vôô-Dkapums et à leur rencontre il y a peu, qu’il est devenu possible d’envisager de tels vaisseaux. En effet, ils sont actuellement la seul espèce connue à pouvoir supporter ainsi toutes les pesanteurs usitées, n’importe quelle atmosphère et jusqu’au vide spatial (grâce à des performances en apnée étanche hors du commun), et les fréquentations les plus incongrues (de par leur capacité à figer dans le temps quelques minutes tous les êtres vivants autour d’eux, alors qu’ils restent pour leur part toujours libres d’agir. (Cela permet d’intervenir dans les cabines des espèces par trop agressives.)).
En revanche ils ne vous feront pas la conversation, tous les échanges d’information avec eux passeront par le réseau d’interprètes. Le Brau Koli par exemple peut disposer sur le communicateur interne et dans chaque cabine qui l’exige d’un Tradivarius polysensoriel.
Le commandant de bord pour sa part restera parfaitement invisible des passagers, et ce durant tout le temps du voyage jusqu’à une prochaine mise en orbite ou cale sèche.
Le commandant de bord est un Scantsill, son système proprioceptif très fin lui permet de ressentir précisément les déplacements, les vitesses, les accélérations et les variations d’accélérations que ce soit en translation ou en rotation. Beaucoup de mots savants pour parler d’une chose qui lui est évidente, et qui reste incompréhensible pour des espèces qui ne perçoivent pas les mouvements cosmiques qu’ils décrivent lorsque leur corps est immobile.
Couché à son poste de pilotage, il peut à loisir orienter sa couchette dans toutes les directions de l’espace pour ajuster ses perceptions lorsque le vaisseau cherche son cap. Une fois verrouillé sur un cap à garder, la couchette de commandement se trouve orientée face à l’avant, et le commandant ne fait plus qu’un avec son vaisseau : ses perceptions s’alignent fidèlement sur le moindre détail de chaque dérivée du mouvement du vaisseau. (Et chacun des rivets aussi d’ailleurs.)
À chaque voyage, on recalibre les réglages propres à chaque sous-section du vaisseau et à chaque cabine. C’est un travail harassant. On envisage toutes les possibilités, tous les regroupements, toutes les circulations, jusqu’à déterminer le choix le plus économique parce que le plus équilibré. Pour partir dans le vide spatial, il est en effet impératif de considérer le vaisseau comme un écosystème composé d’écosystèmes. On détermine les différents besoins (stables ou consommables) et on raisonne pour les déchets en termes de ressources recyclables.
On comprendra aisément qu’un espèce donnée, exigeant un environnement de type grand fond marin terrestre et à consommation essentiellement soufrée par exemple, plutôt que d’être logée seule dans une cabine étanche puisse se retrouver en aquarium dans une cabine à très haute pression atmosphérique et communiquant par membrane osmotique avec un autre milieu produisant du soufre. Leurs déjections et autres productions pourront de même trouver différents usages pour tel ou tel besoin à bord.
D’un voyage à l’autre, le prix réclamé à une espèce peut donc varier fortement, selon que ses consommations et productions s’équilibrent plus ou moins efficacement avec les autres espèces présentes. Cela est souvent malheureusement peu compris ou mal perçu par le public.
On finira souvent après d’incroyables atermoiements par dénicher une combinaison convenable, parfois parfaitement saugrenue, mais permettant d’atteindre un équilibre global durable.
Pour une espèce donnée :
- Les exigences de pesanteur déterminent la sous-section gravifique.
- Les exigences d’espace vital et d’isolation éventuelle déterminent la taille de la cabine attribuée et ses partages possibles.
Dans les différentes cabines, on peut alors à loisir personnaliser les conditions du biotope :
- Conditions de température, de pression, d’hygrométrie, de rayonnements & radiations.
- Composition atmosphérique d’origine / Consommations / Productions
- Ameublement et Services nécessaires.
L’équipe d’attribution des places sous la supervision du second finira par déterminer le réglage des conditions stables et le réseau des connexions du système de recyclage qui permettront aux différents écosystèmes de rester équilibrés durant tout le voyage.
Il subsiste néanmoins toujours des consommations non produites totalement, il y a donc une part du vaisseau pour le stockage, et une part de chaque section peut être réservée à la production (serres, élevages, bouillons de cultures, …)
Bon, cinétiquement parlant, pour le reste et à partir de là, c’est à peu près comme avec n’importe quel moyen de transport en commun : les voyageurs peuvent bouger dans n’importe quelle direction mais toujours dans un espace restreint durant un temps arbitraire, et pour finalement avoir tous effectué sensiblement le même déplacement à l’arrivée.
Cette absence de responsabilité individuelle
et de libre arbitre m’a toujours gêné.
Personnellement, je préfère le vélo.
© Frankygnol
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