vers DustnenFeul & la saga de Samulfu
Les chroniques amères de Jean-Christophe Inembourg :
La Cité Uni Vers Cythère de Mepte Mupta
[C]
hers étudiants bonjour, soyez les bienvenus, vous pouvez vous asseoir, ou vous redresser si votre morphologie vous le permet, mais merci quoi qu’il en soit de conserver une certaine retenue durant mon cours.
Je ne saurais trop insister aujourd’hui en particulier sur ce dernier point. La rédaction des Journées Imaginaires a en effet réussi à me convaincre de la pertinence de diffuser une chronique espècifique dans ses pages, aussi le cours de ce jour sera-t-il entièrement retranscrit dans ses colonnes prochainement.
Vacarme dans l’amphithéâtre, les étudiants se roulent sur leur paillasse aux cris de
« Hip Hip Hip, il pointe au top, Inembourg ! »
et autres frénétiques manifestations d’enthousiasme.
Pr. Inembourg, reprenant la parole par dessus le tumulte, rougissant et visiblement ému :
Merci, merci, je suis touché, mais c’est précisément ce que j’aurais souhaité éviter. Je vous serai donc reconnaissant désormais de limiter vos productions sonores à des questions ou remarques constructives, et de bien vouloir vous abstenir de tout bruit disgracieux ou inopportun dans cette enceinte.
Nous allons nous pencher (au sens propre, merci de rester correct, vous là-bas !) sur les origines de cet établissement voué à la culture et à l’instruction, ici, sur Mepte Mupta.
Comme vous le savez, c’est suite à la généralisation des tablettes tactiles au cours du XXIe siècle earthien que les tables elles-mêmes, devenues obsolètes, ont disparu des salles de classe. Ensuite, ce sont à l’origine les étudiants en sciences naturelles, il convient de s’en souvenir, qui ont imposé que les paillasses en soient réellement, dans le sens originel du mot. Il a fallu ensuite attendre les « évènements » du 69 pour que soient institutionnalisés les lits à deux places que nous connaissons à présent dans tous les amphithéâtres, et jusqu’aux salles de cours des lycées publics (qui le sont devenus vraiment, publics, depuis que de plus en plus de curieux s’inscrivent en candidats libres afin surtout d’observer les ébats des potaches). Tout le monde se souvient que cette mixité des postes de travail était la première revendication des manifestants à l’époque, et qu’ils eurent évidemment gain de cause suite à une flambée révolutionnaire qui quoique spectaculaire est restée sans lendemains, chantants ou non. Si ce fut un grand soir, permettez-moi de vous dire qu’il eut surtout de remarquable la gueule de bois qui s’ensuivit et qui chez certains perdure toujours. Néanmoins tout le monde ne fut pas astreint immédiatement à l’Astral Skelter, et dans l’euphorie de la victoire, nous avons assisté à une période libératoire où les débordements systématiques rendaient difficile l’accès aux connaissances, d’autant que les pratiques des soixante-neuvards empêchaient la moitié des étudiants au moins de regarder vers le professeur et le tableau.
Certains pédagogues soucieux, dont je m’enorgueillis d’avoir fait partie, ont donc décidé de créer une structure alternative pour un retour aux pratiques studieuses par la chasteté. C’est ainsi que fut fondée la Cité Uni vers Cythère, sur l’îlot Mank-Onneman de Mepte Mupta. L’objectif premier était de fonder une enclave strictement masculine et n’acceptant la notion d’amour qu’entre purs esprits. Cet impératif idéal ne put cependant jamais être appliqué, du fait de la complexité de définir le genre masculin parmi la variété des espèces intergalactiques, du fait aussi de la faiblesse de caractère des instances dirigeantes, et jusqu’au Doyen, qui ne fut jamais ni suffisamment idéaliste ni pleinement refoulé pour qu’un tel rêve prenne corps. C’est une catachrèse, merci de savoir vous tenir dans le fond !
En fait, il ne reste de ces grands idéaux fondateurs que la forme triomphante de nos bâtiments, le nom d’Afro-Deat donné à notre soleil, et l’habitude persistante chez certains puristes (dont je suis) d’exiger de leurs étudiants qu’ils restent assis ou au moins qu’ils conservent une certaine tenue posturale durant les cours. Sous peine de nous voir couper toutes les subventions, et surtout de perdre tout espoir d’enregistrer des inscriptions il faut bien l’admettre, nous avons en effet dû nous résoudre à rentrer dans le rang, et à proposer dans nos structures ce qu’il est convenu d’appeler des conditions décentes, même si ça reste rarement le cas très longtemps.
Je pourrais fort bien me mettre ici à disserter longuement sur les modes de financement que nous avons conservés et développés depuis, sur leur indéniable indépendance à l’égard de tout pouvoir politique, économique, religieux ou espècifique, c’est très efficace, parfaitement ingénieux et imparable, les plus gros consortiums (ndF désolé pour les latinistes, mais ce pluriel est juste) intergalactiques ont depuis longtemps abandonné tout espoir de prise d’influence. Certes, je pourrais, mais cela aurait pour effets cumulés de vider cette salle de toutes les personnes qui ne sont pas des ronds-de-cuir indécrottables, de remplir subséquemment les lieux de perdition des environs, et de me raser moi-même copieusement. Non pas que ce sujet me déplaise, j’arrive à me divertir en pensant que les graphiques ‘en camembert’ sont réellement des fromages aromatisés, et j’imagine toujours un petit bonhomme en train de sauter de l’un à l’autre sur les diagrammes en bâtons. Pour les courbes, il y a de multiples occurrences dans mes souvenirs pour me permettre de me projeter, et n’ayez pas cet œil grivois en traçant dans l’air des formes voluptueuses, ma pratique assidue de la randonnée m’incite plutôt à penser alors à des lignes de crête célèbres ou à des panoramas mémorables. Non, ce qui me rend les cours de comptabilité insupportables, c’est la fréquentation des étudiants que cela attire ; j’aimerais encore mieux retourner m’enfouir dans la terre glaise de mes ancêtres que de devoir subir leur « humour de banquier ».
Alors non, résolument, je resterai sur le terrain de l’analyse espècifique qui me vaut votre fidélité, chers étudiants, vos blagues, boutades, bévues et caricatures espècifiques, ô combien, et le dynamisme, l’éclectisme, la fougue … je me lancerais bien dans tout l’alphabet pour lister en un acrostiche affriolant les caractéristiques de vos assemblées, avant d’en venir au final à leur variété wonderful, xénophile y zygomaticante, mais ça nous ferait sortir des limites temporelles imparties à ce cours. Sachez donc simplement que j’apprécie votre intérêt et n’en attendez pas plus de ma part.
Intérêt d’ailleurs fort justifié, soit dit sans froisser mes collègues spécialistes de disciplines moins passionnantes, et intérêt encore démultiplié si c’était possible lorsqu’il s’agit de nous ouvrir à l’étude de Mepte Mupta. – Oui, c’est encore à ne prendre qu’au sens figuré, merci.- C’est en effet peut-être sur le terrain de l’égalité inter-espèces que la réussite de la Cité Uni Vers Cythère est la plus admirable. Et pas question de quotas, ou de quelque autre subterfuge bureaucratique et paperassier pour arriver à cet enviable résultat, mais simplement une égalité réelle, une écoute attentive et un accueil chaleureux à tous les niveaux, ainsi que des locaux adaptés et en suffisance qui permettent, comme chaque étudiant a pu l’expérimenter à son gré en amateur, de mettre en place des groupes informels d’étude, qui peuvent devenir formels, des ateliers d’échanges collaboratifs, des ateliers dirigés, et toutes les autres formes embryonnaires que peuvent prendre dans leurs débuts balbutiants les happenings pédagogiques qui deviendront peut-être, si la persévérance est là et que la réussite leur sourit, des cours magistraux tels que celui-ci, qui l’est à n’en pas douter, magistral, permettez-moi de le signaler sans fausse modestie.
Acclamations de l’assistance entraînant des vibrations du milieu continues, de la vibration des planchers par piétinements jusqu’aux sifflements hyprasoniques des langues de Vimères, et sur une bonne part du spectre électromagnétique démarrant bien avant les ultra-violets pour les rayonnements des regards des Terponides les plus ardents et passant par tout le spectre visible pour les productions des espèces photo-émettrices, tout l’infra-rouge évidemment du fait de cette chaleur animale enthousiaste, et jusqu’aux trépignements d’ailes des Lutropes qui ne sont perceptibles aux earthiens que sous forme d’ondes radio.
Merci, cela me permet de conclure en vous rappelant que dans l’Indice de Pertinence et de Performance qui classifie et hiérarchise sur diverses échelles les cours et ateliers, la part relative à l’applaudimètre – si j’ose utiliser cette expression désuète et à coup sûr réductrice dans votre cas – est prépondérante dans le choix de l’étage attribué au cours. Et ce n’est pas un hasard, ou une volonté formelle et délibérée de vouloir représenter plus prosaïquement la culture se répandant sur le monde, mais c’est la seule solution pour que les autres cours puissent se tenir décemment en parallèle et pour être certains que les bâtiments tiennent en cas de succès excessif tel que celui-ci. La vue plongeante et l’horizon dégagée ne sont donc pas non plus un favoritisme à l’usage exclusif des cancres de derniers rangs des cours les plus appréciés, mais seulement un bénéfice secondaire, diraient certains, d’une mesure de prudence élémentaire par ailleurs fort décorative lorsqu’on observe les tours d’enseignement au crépuscule.
Pour ceux, celles et ceucelles parmi vous qui apprécient les soirées diapos, j’ai d’ailleurs pensé à vous ramener ici une photo de vacances d’un confrère où l’on peut contempler ces superbes édifices, mais si, en arrière plan, ne soyez pas voyeur ! et pour les plus assidus d’entre vous, vous trouverez l’intégralité de l’épisode chez notre vénéré diffuseur du jour par là, je ne dis pas ça parce que j’ai eu l’honneur de donner de ma personne (pas au sens propre, je vous prie de me croire !) pour sa rédaction, je signale même aux collectionneurs de raretés qu’ils trouveront ici reproduit un des rares clichés aériens existants de l’île de Mepte Mupta, utilisé comme illustration dans un article du même confrère.
© texte Frankygnol – illustrations Frankygnol & Davido
1 Commentaire
vraiment je ne m’ennuie pas. La planète avec la petite île. Beautiful ! L’amphi, plein d’êtres très divers et quelquefois
des sylphides (est-ce ainsi que ça s’écrit Frankygnol) aux hanches plutôt affriolantes). Je pense que çà,fera,un bon
bouquin. Les textes sont un peu longuets.